Cette chronologie historique des chuteurs opérationnels s’appuie sur des documents officiels, des sources recoupées et de précieux témoignages sur l’épopée de leur création et de leur évolution. Réalisée par l’ACOPS, elle se veut la référence sur le sujet, tout en restant un document évolutif.
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ÉTATS-UNIS
En 1956, le capitaine franco-américain Jacques-André ISTEL (USMCR) recommande à l’état-major des Marines des États-Unis d’utiliser la chute libre pour effectuer des missions de reconnaissance dans la profondeur.
Le 26 juillet, après avoir décollé du porte-avion USS Bennington à 70 miles en mer (112 kms), 4 Marines-parachutistes sont largués d’un bombardier-torpilleur TF-1 près de El Centro (Californie), à environ 100 miles dans les terres, validant le concept de reconnaissance profonde à partir d’un navire en mer.
En 1957, le 6 février, le major MEYERS et le staff-sergeant BARNETT s’éjectent simultanément par la trappe ventrale de deux jets F3D Skynight en formation à 150 nœuds (278 km/h), et effectuent une chute libre de plus de 5 secondes avec équipement de combat. Ce dernier saut d’une série, réalisée avec et sans charge, de jour comme de nuit, et avec différents modèles de parachutes, est un succès et valide la possible utilisation de jets embarqués sur porte-avion pour des sauts d’équipes de reconnaissance de l’USMC.
En 1958, grâce au soutien technique et aux conseils de Jacques-André ISTEL et après de multiples expérimentations, tant en techniques, en matériels qu’en aéronefs, le concept HALO (High Altitude - Low Opening) est définitivement au point. Les premiers « chuteurs » des unités de Recons de l’USMC et des Green Berets de l’US Army vont commencer à être progressivement formés à l’initiative des unités disposant d’instructeurs, telle la 1st Force Reconnaissance Company ou le 77th Special Forces Group (Airborne).
FRANCE
En 1960, à Calvi, 5 moniteurs du Centre d'Instruction n°3 du 1° Bataillon de Parachutistes de Choc (1° BPC) effectuent le premier saut à ouverture retardée avec charge, une musette TAP arrimée au harnais. Il est exécuté le 1er avril par le lieutenant DEVEAU, le sergent-chef BELLENCONTRE, le sergent-chef FLEURY, le sergent-chef MAURENCE et le sergent-chef PELOQUIN, et est suivi par un saut de nuit le 22 juin.
En 1961, à Pau, le capitaine BONGEOT, patron de l’Instruction Parachutiste, dirige l’expérimentation du saut en commandé retardé avec sac et arme lancée dès le mois de septembre après l’accord du colonel BROTHIER, commandant la Base École des Troupes Aéroportées (BETAP). La façon de s’équiper avec l’armement et la technique d’arrimage du matériel ont été mises au point par le lieutenant ORHON, lequel serait à l’origine du projet. Parallèlement, au mois d’octobre 1961, des volontaires du 1° BPC débutent une progression en chute libre avec charge croissante qui s’achèvera peu avant la dissolution du bataillon en décembre 1963.
En 1962, le succès des sauts expérimentaux en équipe amène le commandant de la BETAP à les inscrire au programme des démonstrations aux autorités en visite. Exposé au grand jour, le savoir-faire de l’École des parachutistes français assoit sa renommée internationale tout en offrant de nouvelles perspectives au commandement.
Ainsi, le 28 octobre 1963, le général AILLERET, Chef d’État-Major des Armées en visite à la BETAP, et accessoirement qualifié moniteur parachutiste, apprécie tout particulièrement les démonstrations de sauts en commandé qui lui sont présentées, notamment celle effectuée avec sac et arme.
En 1964, le colonel CAILLAUD, chef de corps du 2° Régiment Étranger de Parachutistes, met en place, dès l’été, dans la région de Mers el-Kébir, des équipes de marqueurs-jalonneurs sautant en chute libre avec leur matériel. Une mise en application de la technique développée à Pau qui puise sans nul doute son inspiration de son précédent poste d’officier de liaison TAP à l’école des paras allemands de Schongau (RFA) de 1961 à 1963. Détaché de l’EMA, il était l’ambassadeur du savoir-faire aéroporté français, et fut aussi le coordinateur du brevet parachutiste réalisé au profit de la 7° compagnie-commando de Langenargen (organisée en sections spécialisées et futur 2/13 RDP) en avril 1963 à Schongau, en liaison avec l’Instruction Parachutiste de la BETAP.
Le 17 juillet 1964, suite à l’intérêt porté par le CEMA lors de sa visite à la BETAP en 1963 et aux études réalisées par l’EMAT, le général LE PULOCH, Chef d’État-major de l’Armée de Terre, exprime officiellement l’intérêt de la chute libre en opération pour les combattants et le commandement, et décide l’ouverture d’une formation dédiée. Celle-ci va permettre de répondre au besoin opérationnel des équipes de recherche du 13° RDP, faisant suite à ses difficultés de parachutage en zone ennemie, et à la demande de qualification officielle des équipes de marqueurs-jalonneurs du 2° REP réclamée par leur chef de corps.
En 1965, du 19 avril au 17 mai, a lieu à l’ETAP le premier stage de formation aux « Sauts Opérationnels à Haute Altitude » (SOHA) encadré, entre autres, par deux moniteurs chevronnés ayant participé à l’expérimentation de 1961. Il est dans un premier temps constitué de militaires du 13° RDP et du 2° REP avant de s’ouvrir petit à petit aux autres unités des forces armées et à une poignée de militaires du rang du contingent.
En 1967, au mois d’octobre, 3 militaires de l’ETAP participent au stage de sauts à haute altitude organisé par le Centre National de Parachutisme (CNP) de Biscarosse. Les sauts effectués de 6000 à 7500 m, avec inhalateur et sans charge (contrairement aux deux réalisés au 11e choc en 1963) vont permettre au médecin principal YOUT d’assister médicalement l’expérimentation militaire « sous oxy » de 1969 et les suivantes.
En 1969, le colonel MERGLEN, commandant l’École des Troupes Aéroportées, signe les premières attributions de qualifications numérotées aux lauréats du stage SOHA qui ne bénéficiaient jusqu’alors que d’une attestation de stage. Les premiers certificats techniques numérotés sont attribués à compter du 29 janvier, au coup par coup, et sans respect de la numérotation des listes d’attribution. Ils sont accompagnés des premiers diplômes numérotés du « Certificat technique de chuteur opérationnel ».
La même année, lors de l’exercice Franco-Allemand COLIBRI 7, deux équipes de chuteurs opérationnels de l’ETAP, menées respectivement par le capitaine BERGUIN et le lieutenant POIREY, sont employées pour la première fois à l’échelle de la Brigade. Leur saut de nuit réalisé à l’estime, suivi d’une infiltration et d’un marquage au profit des compagnies parachutistes de deux régiments alliés, est un franc succès.
En 1970, le colonel CAILLAUD, chef du bureau des troupes aéroportées et amphibies à la direction technique des armes (DTAI) de l’EMAT, décide de créer un insigne distinctif sanctionnant la réussite au stage « chuteur ops ». Le 8 juillet est homologué un insigne métallique de spécialité sous le numéro GS 30 qui prend l’appellation de brevet de chuteur opérationnel.
Le 9 décembre, suite aux différents rapports de l’ETAP, paraît l’instruction n°18897 définissant les conditions d’obtention du « Certificat d’aptitude technique au saut opérationnel à ouverture commandée retardée à grande hauteur » et, de fait, les nouvelles modalités du stage de formation n° 6624 qui devient stage de « Sauts Opérationnels à Grande Hauteur » (SOGH) passant de 7 à 9 semaines et incluant désormais des tests physiques plus spécifiques.
Délivrés à présent par la DTAI, les certificats seront de nouveau délivrés par l’ETAP au début des années 2000 sous son graphisme standard, reprenant le libellé défini par l’EMAT et y ajoutant la notion d’équipe : « Certificat d’aptitude au saut opérationnel à grande hauteur en équipe ».
En 1971, le stage amélioré 6624 est renommé 6661 au TTA 162 édition 1971 et au règlement de mise à terre des troupes aéroportées « TAP 111 » approuvé par la décision n°5697/DTAI/BTAPA du 15 avril 1971. Il prend l’appellation de « Sauts Opérationnels à ouverture commandée retardée à Grande Hauteur ».
En 1972, au mois de février, lors de l’exercice Franco-Togolais « Amitié 72 », une équipe de chuteurs opérationnels est engagée pour la première fois en Afrique, en harpon et dans un cadre d’intervention alliée. Emmenée par le capitaine BERGUIN, elle est composée de chuteurs du 9° RCP et du 1er RHP qui effectuent un saut de nuit à 4000 m sur la savane pour permettre le parachutage et l’engagement du 8° RPIMa, le lendemain à l’aube.
En 1973 et 1974 ont lieu les expérimentations de sauts en haute altitude sous oxygène et avec charge qui vont permettre la validation de ce type de saut et conduire à une formation aux Sauts Opérationnels à Très Grande Hauteur (SOTGH).
En 1978 est organisé le premier stage SOTGH à partir de la plate-forme aéronautique de Mont de Marsan. Les sauts "oxy" s'effectuent sur Biscarosse et jusqu'à une hauteur de 9000 m.
En 1982, sur proposition du lieutenant-colonel PINATEL chef du 3e bureau, le général SCHMITT commandant la 11e Division Parachutiste, décide, le 1er janvier, de créer les Commandos de Recherche et d’Action dans la Profondeur (CRAP), officialisant ainsi l’existence en organisation des équipes et sections de chuteurs opérationnels au sein des régiments. Les CRAP changeront d’appellation en 1999 pour devenir Groupement de Commandos Parachutistes (GCP).
Un premier camp CRAP, destiné à regrouper périodiquement toutes les équipes chutops des régiments, est organisé à Caylus avec sauts à Calvi. Il se déroulera les éditions suivantes sous la tutelle du 1er RPIMa, à Baudonne, au nord-est de Bayonne.
En 1985 le stage 6661 devient 55 501 au règlement des troupes aéroportées TAP 111, approuvé par la décision n° 5242/DEF/EMAT/EMPLOI/ TAP du 4 octobre 1985 De plus en plus technique, la formation passe à 13 semaines et voit apparaître le CAP OPS (Certificat d’aptitude opérationnelle).
En 1990, sous l’impulsion du général URWALD commandant l’ETAP sont regroupés près de 400 chuteurs opérationnels d’active ou en retraite pour célébrer le 25e anniversaire du premier stage. Pour perdurer la fraternité qui émane de cet évènement, l’amicale des Chuteurs Opérationnels est officiellement créée le 23 janvier 1991. Dénommée AMICRAP les premières années, elle prend finalement le nom d'ACOPS en 2005.
En 1991, lors de l'opération Daguet, 6 équipes CRAP sont engagées au sol. Composantes du 1er GCP structuré autour du détachement du 1er RPIMa, les équipes du 2° REP (2), 3° RPIMa, 6° RPIMa, 1° RHP et 35° RAP interviennent dès le début de l'offensive.
En 1999, le 7 novembre, 2 officiers des commandos Marine sont largués en tandem, sous oxygène, à 8200 m au dessus de Douvres et réalisent une dérive sous voile (DSV) de 40 kms en 27 mn, réussissant la traversée de la Manche. L’initiative et l’exploit sont personnels mais confirment le potentiel de l’infiltration sous voile (ISV) et l’intérêt du Saut Opérationnel à Très Grande Hauteur (SOTGH).
En 2000, le gendarme URAC du GSPR est la première femme a suivre le stage, le réussir et être brevetée chuteur opérationnel (n° 2194). Un brevet acquis par ses propres compétences, sans aucune complaisance.
En 2004, l'EM/GCP de la 11° Brigade Parachutiste créé le stage Jedburgh afin de centraliser la formation initiale des Commandos Parachutistes. D'une durée de 15 semaines, il forme et prépare les futurs chuteurs opérationnels de la 11° BP.
Dans la nuit du 25 au 26 décembre, l’équipe GCP du 1er RCP effectue un saut de 2500 m en Puma, suivi d’une infiltration sous voile d’une quinzaine de kilomètres afin de se poser près du village de Kotore au Kosovo, pour une mission d’observation et de renseignement.
En 2006, une équipe du CPA 10 effectue un SOGH à partir d'un Transall de l’ET 3/61 Poitou, autour du 15 août, afin d’ouvrir le terrain de Kananga aux troupes de la MONUC, en République Démocratique du Congo.
En 2007, le 03 mars, l’équipe GCP du 3° RPIMa saute sur Birao, dans le nord-est de la Centrafrique, suite à l’attaque du camp français par les rebelles de l’'Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) afin de renforcer l’équipe du 17° RGP déjà sur place.
Le 06 mars, ce sont pas moins de 59 chuteurs opérationnels appartenant au 1er RPIMa, au commando Hubert et au CPA 10 qui sautent sur Birao en 3 passages, entre 04h00 et 04h30 du matin, sans balisage, constituant le premier SOGH de masse en zone hostile. L’impressionnant sous-groupement s’empare aisément de la piste d’atterrissage de Birao permettant un poser d’assaut dès 08h40.
En 2013, par la décision D-13-004443/DEF/EMA/EMP.3/NP du 10 avril 2013 le stage 55 501 est refondu et prend une nouvelle appellation plus explicite : « A TAP 3 400 CHUTEUR OPS». Le certificat sanctionnant la réussite au stage de l’ETAP est désormais remplacé par un brevet, le « brevet militaire de chuteur opérationnel ».
La Marine et l’Armée de l’Air et de l’Espace se voient autoriser leur propre formation, sanctionnée respectivement par un certificat et une qualification propre à chaque armée, sans toutefois donner droit au port de l’insigne métallique de chuteur opérationnel.
Enfin, le CAP OPS 3 délivrant la qualification « Saut Opérationnel à Très Grande Hauteur », peut être délivré soit par l’ETAP, soit par les commandants des formations du Commandement des Opérations Spéciales (COS), après réussite aux épreuves du stage réalisé en interne.
En 2020, au mois de novembre, le malinois LAOS du CPA 10 est le premier chien à pratiquer le SOTGH grâce au système "Arcane" développé en interne.
En 2022, le 6 avril, une stèle érigée en mémoire des chuteurs opérationnels morts en service est inaugurée à l'ETAP, à l'initiative de l'ACOPS, lors de la cérémonie de remise des brevets au 155° stage présidée par le général URWALD.
Le 26 juillet, la Direction Générale de l’Armement (DGA) valide un nouveau système de mise à terre pour les chuteurs opérationnels (SMTCOPS), un ensemble complet d’équipements et accessoires de parachutage à haute performance. Son parachute est depuis le 1er mars, le seul au monde a être certifié par une agence nationale d’aviation civile (DGAC).
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Au delà de la chronologie des évènements, la question de la paternité des chuteurs opérationnels français divise, ce qualificatif pouvant être attribué à plusieurs officiers selon sa propre perception des évènements.
- Le lieutenant Jean-Jacques DEVEAU pour avoir été le leader de l’équipe du 1er Choc qui a chuté pour la première fois avec une musette dès 1960.
- Le lieutenant Gilbert ORHON pour avoir imaginé, puis mis au point la façon de s’équiper avec sac et arme en 1961, procédure qui continuera à être enseignée de nombreuses années.
- Le capitaine Julien BONGEOT qui initia et orchestra avec succès l’expérimentation de la BETAP, puis réalisa en tant que chef d’équipe la majorité des démonstrations publiques qui ont précédé le premier stage.
- Le colonel Robert CAILLAUD qui mit en application cette nouvelle technique au sein de son régiment dès 1964, confirmant l’intérêt de son utilisation au commandement, et à qui l’on doit l’insigne métallique de chuteur opérationnel.
- Le général Charles AILLERET qui revint à Paris conquis par la démonstration des moniteurs de la BETAP en 1963, et qui, sans nul doute, incita le CEMAT, 9 mois plus tard, à valider le concept et à créer le stage SOHA, ouvrant ainsi la voie à l’existence officielle des chuteurs opérationnels.
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Crédit photo : ETAP - ISAP 1978 : Expérimentation de sortie équipiers accrochés pour éviter la dispersion en chute, technique qui fut rapidement rendu inutile par la mise en place des premiers parachutes de type aile.
Sources : - Bibliothèque Nationale de France - Archives du Ministère des Armées - Service historique de l’Armée de Terre - France Archives - Livre « Des précurseurs...» - Archives de la République des Pyrénées - Mémoires de Bernard Coqueblin et René Leroy - Mémoires de Michel Berguin - Instruction relative à l’obtention des brevets - Instruction n° 18897 du 9 décembre 1970 - Fiche tactique sur la chute opérationnelle (introduction) - Traversée de la Manche nov. 1999 - Biographie Robert Yout - La présence militaire française en Allemagne de 1945 à 1993 - Stratisc.org - Parachutiste-commando.e-monsite - La Vigie - Commandos du ciel - Les forces spéciales françaises dans la guerre du Golfe (p 247) - Qualification SMTCOPS